Les chroniques de l’observateur : notes et remarques sur Buffy the Vampire Slayer (4)

Observation 4 : archétypes et métaphores

(celle ci est pour ces messieurs du 7ème Antiquaire – et pour Laure, évidemment)

Hier, on rentrait avec Laure, et ce soir là elle n’en menait pas large. Voici ce qu’elle me dit soudain : « Tu vas trouver ça bête, mais je crois que regarder Buffy, ça me fait remonter des trucs que j’ai refoulés. » Et en vérité, je crois que ça n’est pas bête du tout.

Bon, on ne va pas parler des trucs refoulés de Laure, ça n’a pas sa place ici. Mais je vais vous raconter quand-même une autre de ses histoires : c’est dans la période où ses parents se sont séparés que Laure a vu le troisième film d’Harry Potter. Elle a eu depuis une sévère phobie des loups-garous. Disons-le concrètement : une phobie assez disproportionnée.

J’entends régulièrement les camarades du 7ème Antiquaire ou de J’Ai Raison et Vous Avez Tort souligner combien les films pour enfants se sont lissés dernièrement, comme si l’on ne voulait plus les brusquer, tandis que dans de nombreux films d’avant, c’est-à-dire jusqu’à encore récemment, dans les années 90, on n’hésitait pas à avoir des passages tout bonnement terrifiants ou dérangeants dans les fictions jeunesse. L’Histoire sans fin, E.T. ou même Le Petit Dinosaure et la vallée des merveilles regorgent de scènes clairement angoissantes, par exemple.

Il se passe exactement la même chose qu’avec le traitement qu’opère Disney avec les contes : une édulcoration dégoulinante jusqu’à appauvrissement total des œuvres. Et cela n’est pas seulement mal pour l’art, pour les messages que l’on véhicule ou pas, non cela fait aussi au final de moins bonnes histoires pour aider à grandir les enfants et jeunes adultes.

L’horreur, la peur, l’angoissant, le sordide, tout cela a une fonction majeure aussi bien dans les contes que dans tout récit à visée initiatique. Et la présence de ces créatures et phénomènes si peu rassurants, tant dans Harry Potter que dans Buffy, n’est à mon avis pas étrangère à leur succès.

Revenons à Laure : petite adolescente qui voit son rassurant foyer éclater, elle se prend soudain en pleine face une réalité douloureuse. Non, ses parents ne seront peut-être pas toujours là pour la protéger. Incapable d’intellectualiser ça et de l’énoncer clairement, elle cristallise son angoisse et ses peurs sur la figure du loup-garou. Et lorsqu’elle fait ensuite des crises de phobies au sujet de la créature, ce qu’elle manifeste auprès de ses parents c’est ce message qu’elle ne réussit pas à leur formuler en vrai : ne m’abandonnez pas, protégez-moi, tenez votre rôle de parents.

Par la suite, Laure est restée loin de tout film d’horreur et de tout ce qui aurait pu l’angoisser. Jusqu’à ce que nous regardions Buffy ensemble. Et que cela réveille de nouveau de vieux tourments qu’elle avait tenté de surmonter en les étouffant plutôt qu’en les affrontant.

Là où Harry Potter et Buffy se montrent des œuvres diablement intelligentes (quoi qu’on en dise), c’est dans la façon dont sont intriquées les intrigues fantastiques et terrifiantes et les problématiques bien plus banales, mais pourtant aussi – voire plus – importantes, de leurs vies adolescentes. Les premières étant en vérité des métaphores des secondes.

Et, même si je pense que nous avons besoin d’œuvres réalistes, qui traitent avec le plus de justesse de notre monde, d’œuvres sociales et concernées, qui frapperont notre conscience de façon immédiate, je crois que les fictions qui jouent avec le surnaturel, la magie, l’occultisme agissent à un autre niveau : celui de l’inconscient, de l’enfoui, du refoulé.

Selon le moment où nous nous trouvons dans nos vies, selon notre âge, selon ce que nous sommes prêts à affronter ou pas, des récits fantastiques comme ceux narrés dans les aventures de la tueuse de vampires jouent alors le rôle soit de catalyseur, soit de révélateur. S’il est trop tôt pour affronter (comme dans le cas de Laure avec la séparation de ses parents), nous leurs trouvons alors un objet extérieur (tel que le loup-garou) sur lequel nous allons cristalliser nos peurs et nos angoisses. Quand enfin nous sommes prêts à nous heurter à ces angoisses pour les dépasser (dans le cas de Laure, cela renvoie à d’autres expériences, mais que l’on peut aisément imager liées dans le fond à tout ce qu’elle avait placé derrière ce loup-garou), la fiction et ses métaphores viennent alors réveiller et ramener à un niveau conscient les angoisses restées latentes.

Pour ma part, je frémis toujours un peu avec cette épisode où une maman a usé de sorcellerie et échangé son corps avec sa fille, pour lui voler sa jeunesse et sa vie – ça me renvoie à la relation trop fusionnelle qu’a eu ma mère avec mes frère et sœur et moi. Ou bien c’est cette scène d’un épisode où les cauchemars deviennent réalité : le père de Buffy, venu la chercher pour le week-end, lui annonce qu’il ne voudra plus jamais la voir, parce qu’il a autre chose à faire que de supporter une jeune fille geignarde et bête et qui l’ennuie profondément depuis toujours – qui cette fois relance mes vieilles peurs liées au départ de mon propre père.

Et je ne cite que quelques passages aisés à exemplifier. Toute l’intelligence du programme de Joss Whedon et ses comparses est d’avoir réussi à fusionner une trame archétypale de récit initiatique, des figures fortes, ancestrales mais renouvelées, pour traiter de façon fine, de toutes les épreuves que traverse dans la vraie vie son public cible.

(à suivre…)

Leave a comment

Create a free website or blog at WordPress.com.