Et si l’on avait le droit de toujours aimer JK Rowling et Joss Whedon ?

Nous avons tous été en deuil. Joss Whedon, notre maître à penser, le réinventeur de la série télé, notre grand-frère bienveillant qui nous a accompagné durant notre adolescence, le précurseur d’une forme de fiction féministe des premières heures, s’est avéré être un connard abusif. Et maman Joanne, qui nous a appris l’amitié, la solidarité, le pardon, l’ouverture et la compassion, qu’aucun destin n’était tracé et que nos choix nous définissaient, s’est montrée une fichue transphobe aux propos terriblement maladroits qui persiste en plus dans sa voie.

Maman Joan

Je crois que l’ampleur choc est proportionnelle à l’estime sans borne que nous avions pour ces deux oeuvres et leurs créateurs. Qui, dans le crew des geeks, n’a jamais formulé “Joss Whedon est mon Dieu !” ? Un peu démesuré, soit, mais on l’a fait. Mais c’est que beaucoup d’entre nous on grandi avec ces deux séries. Leurs héros ont été nos ami.e.s secret.e.s, leurs histoires, les nôtres ; et ils symbolisent toutes les belles valeurs qui nous ont été transmises par ces récits. Pour nous, leurs créateurs étaient les porteurs, dans la réalité, de tout ça. Ils étaient pour nous des repères, aussi importants que leurs oeuvres, et éternellement liés à elles.

Grand-frère Joss

La chute a été rude. Et désormais, si l’on remet le nez dans un des tomes de la saga HP, ou que l’on lance un épisode de la chasseuse de vampires, c’est avec un arrière goût amer, comme si on nous avait menti depuis le début. Comme si tout était désormais sali. Et pourtant.

On devrait se rappeler une des leçons essentielles des deux séries : rien n’est jamais tout blanc tout noir. Même Dumbledore a été parfois un connard. Angel(us) est passé d’un camp à un autre. Séverus Rogue a été dans le camp des méchants, avant de rejoindre celui des héros en secret – et par amour. Même Spike a su se montrer un héros. Nous, les êtres humains, nous sommes des êtres complexes, mus par toutes sortes d’énergies en nous, des humeurs, des hormones, des peurs, de vieilles blessures, des pulsions, des rêves, des aspirations, nous grandissons avec des exemples qui disent tout et leur contraire. Nous essayons d’être des gens biens (la plupart du temps, et pour un certain nombre d’entre nous en tout cas), dans un monde où ça n’amène pas toujours à grand chose. Les garçons, nous essayons d’être des mecs biens, on va même pour certains s’affirmer féministes, pourtant, on regarde parfois les filles comme des objets. On fait tout un foin pour le climat et l’environnement, et pourtant on a des ordis et des téléphones portables, on achète des plats préparés dans des emballages, parce qu’on a pas le temps de cuisiner. On se plaint de la société du spectacle et on regarde sur Youtube les émissions d’un vidéaste qui critique le système. Nous sommes tous collectivement en train de bousiller notre planète, désormais consciemment pour la plupart d’entre nous. On s’invente d’astucieuses raisons pour s’autoriser régulièrement à enfreindre les règles que nous nous sommes fixés.

Aucun d’entre nous n’est fondamentalement propre dans cette affaire. Non, personne.

Nous avons tous, à un moment ou à un autre fait de la merde dans notre vie. Nous avons tous, au moins à un moment, profité d’une situation à notre avantage – et ce injustement ; nous avons tous été hypocrite, menti, baratiné pour se sortir d’une situation désagréable ; à un moment au lycée, on s’est rallié à la team qui se fout de la gueule d’un autre élève, qui mène la vie dure au prof fragile ; on a vendu un produit médiocre pour faire une vente ; on a fait des reproches à un ami, à notre amoureuse, à un collègue de boulot, pour ne pas assumer nos responsabilités.

C’est ça que je veux dire : et si le rejet que nous avons soudain pour Joss et JK n’était pas due au fait que nous les avons trop estimé, que nous avons oublié que tous deux étaient en fait des êtres humains faillibles ? Grandir, devenir adulte, c’est accepter que nos parents, que nous regardions comme des dieux enfants, ne sont pas parfaits, ne sont que ce qu’ils sont avec leurs limites. Accepter aussi que nous-mêmes sommes faillibles.

J’ai une anecdote très précise de ma propre vie. J’ai eu, fut un temps une histoire avec Inés, qui est uruguayenne. Nous nous sommes rencontrés à Rennes, à un moment où, ses années d’expériences françaises pas terribles, elle voulait rentrer dans son pays. Finalement, pour rester avec moi, elle a trouvé une formation sur Paris et nous sommes allés loger en banlieue. Ni elle ni moi ne voulions vivre à la capitale. Mais nous l’avons fait pour rester ensemble. Nous étions censés, ensuite partir vivre en Uruguay. A bien des égards, tout ça a été assez catastrophique. Beau et romantique par moments, passionné et poétique, drôle et fou ; mais assez nuls pour tous les deux à bien d’autres moments. Sur la fin, la nostalgie d’Inés pour son pays natal se faisait de plus en plus pressante ; et moi je disais que je n’étais pas près à quitter la France, pas encore (mais l’aurais-je jamais été ?). Si nous avions été clairs, nous nous serions séparés illico. Mais nous avons repoussé l’échéance. Comme nous nous aimions tellement, disais-je, pourquoi alors ne pas profiter jusqu’au bout d’être ensemble jusqu’à son départ ? Inés a commencé à faire des crises d’angoisses en traversant Paris, ou même à la maison. Tout s’est dégradé, mais je persistais à ce que l’on reste ensemble. Je suis pourtant vaguement tombé amoureux d’une camarade de classe que j’ai tenté vainement de dragouiller. Dans les derniers temps précédant la date de départ, Inés sortait de plus en plus, avec des amis uruguayens habitant la capitale, découchant régulièrement.

Il y a ce jour où, dans notre petit appartement, de retour d’une soirée chez Diomédes, sur le canapé au salon, elle m’avoue avoir rencontré son cousin. Et qu’il y a un début de quelque chose entre eux. Dans une sorte de moment d’illumination, où se mêlait le soulagement de ne pas être le seul à essayer d’aller voir ailleurs, et une profonde et réelle amitié pour Inés, la voulant heureuse (conscient quelque part au fond que nous étions en train de nous embourber), je lui déclarait que c’était parfait, lui donnant le champs libre : va vivre cette histoire lui disais-je ! Ce qu’elle fit donc.

Oui mais. C’est alors que sans plus prévenir, elle se mit à disparaître de plus en plus de notre foyer en ruine, dans lequel je me retrouvais soudain seul, face à moi-même ; tout ça, bien sûr, pour le retrouver, lui ! Je me suis donc mis à lui laisser des messages désespérés et colériques sur son téléphone. Et je me souviens d’elle me rappelant ce que je lui avait pourtant dit peu avant : avais-je menti ? Avais-je été hypocrite ou malhonnête ?

Pourtant, je crois qu’à chaque fois, j’ai été honnête. Oui, j’étais soulagé de ne pas être le seul à avoir été voir ailleurs ; oui, je voulais qu’Inés soit heureuse, qu’elle vive sa propre vie, qu’elle se sépare de cet amoureux maladroit et dépressif avec qui elle ne savait plus être heureuse – c.a.d. moi – ; et oui, cela était douloureux et insoutenable de la voir partir et être avec un autre. J’étais alors tout ça. Le cool, le pas cool. L’ami qui voyait clair et savait ce qui était mieux pour elle. L’ex con et égoïste qui voulait qu’elle reste même si ça devait la rendre malheureuse.

Je crois que c’est pareil pour Joss et Joan. Je ne suis pas en train de dire qu’il faudrait tout pardonner, tout passer. Quand tu fais ou dis de la merde, tu as fait ou dit de la merde, point. Mais si tu lègues de belles choses aux mondes, ces belles choses restent quand même de belles choses. Et que ce soit Buffy ou Harry, les deux oeuvres valent toujours (malgré leurs défauts) pour ce qu’elles défendaient et nous ont apporté. Et nous le devons, malgré tout, à Joss et Joan. Même s’ils ont aussi agit comme des gros idiots. Même s’ils ont fait de la merde. Pourtant, on peut pas dire qu’ils nous avaient pas prévenu quelque part.

Je pense à mes parents. Ont-ils été parfaits ? Loin de là. Je pourrais même affirmer qu’autant ma mère que mon père (et aussi mon autre père – mais ce serait trop long à expliquer ici) ont été par moments parfaitement nul. Mais vraiment très très nuls sur pas mal de trucs. Pourtant, à d’autres moments, ils ont été tops, dans des moments où j’en avais vraiment besoin ; et ils continuent de l’être. Je pense souvent à ma mère en me disant que quelque part en elle, elle avait conscience de toutes ses fichues névroses relous qu’elle allait nous refiler. C’est pourquoi elle nous a remis des outils dans les mains pour qu’une fois adulte, ont soit capable de la déconstruire, et, en quelque sorte réparer nous-mêmes ce qui avait été mal fichu durant notre enfance.

N’est-ce pas, d’une certaine façon ce qu’on fait Joan et Joss ? N’était-il d’ailleurs pas temps que leurs images soient écornées, qu’on les fasse descendre de leur piédestal ? C’est exactement comme ça qu’on devient un adulte indépendant : un jour on réalise que nos parents ne sont pas parfaits, qu’ils ne l’ont jamais été. Un jour, on ne les regarde plus comme des enfants en les idéalisant : on les voit enfin tels qu’ils sont, des idiots d’êtres humains, qui peuvent faire de très belles choses ; et faire aussi de la merde.

Se montrer aussi cons que ça, l’une et l’autre, c’est finalement et paradoxalement peut-être le dernier et beau cadeau que nous ont fait Joan et Joss. Maintenant, nous sommes libres, grands et indépendants. Nous pouvons aller dans le monde en portant le bel héritage qu’ils nous ont transmis. Et oeuvrer à réparer et améliorer les choses où ils ont foiré. Comme des êtres humains.

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